Commentaire de Marché – Juillet 2016 : « Ils sont  fous, ces  Britanniques… »
Guido Barthels, gérant d’ETHENEA Independent Investors S.A. et Yves Longchamp, Head of Research chez ETHENEA Independent Investors (Schweiz) AG reviennent sur les conséquences du Brexit sur les marchés financiers. Voici les principaux extraits de leur dernier Commentaire de Marché mensuel.

« Ils sont  fous, ces  Britanniques… » C’est ce que dirait probablement Obélix en ce moment. Alors que le reste du monde devient de plus en plus interconnecté, les Britanniques prennent conscience de leur statut d’île. Mais finalement, il semble que personne ne l’ait réellement souhaité. Quelles sont les conséquences pour les marchés ?

L’hypothèse improbable s’est réalisée 
Le vote des électeurs répond à des questions qui n’ont même pas été posées.
Certaines dates sont inoubliables à l’instar de 1515 : la bataille de Marignan, ou issues de la littérature, comme 1066 : La bataille d’Hastings. D’autres nous touchent personnellement, comme le 11 septembre. Et désormais le 23 juin 2016, jour où l’hypothèse improbable d’un Brexit s’est réalisée : les Anglais veulent bel et bien quitter l’Union européenne. Ils ont voté pour la sortie de l’UE à près de 52 %.

Toutefois, à en juger par les commentaires entendus outre-manche à l’issue du vote, l’on peut supposer qu’à l’exception des électeurs du UKIP, de nombreux partisans du Brexit ne souhaitaient pas sérieusement quitter l’UE et n’avaient pas imaginé qu’ils pouvaient gagner. Il semble que nombre d’entre eux voulaient simplement faire part de leur propre frustration à l’égard des eurocrates de Bruxelles, tout-puissants mais sans légitimité démocratique. Malheureusement, il en va souvent ainsi pour les référendums. Nos collègues en Suisse en ont déjà fait maintes fois l’expérience. En effet, dans de nombreux cas, le vote des électeurs répond à des questions qui n’ont même pas été posées. Il semble donc qu’il y ait une raison pour laquelle la majorité des États ait adopté un régime de démocratie représentative, où des barrières ont été établies afin d’éviter que les citoyens n’aient à prendre ce type de décision démocratique. David Cameron ne s’est toutefois manifestement pas encombré de ces détails lorsqu’il a annoncé l’organisation du référendum en 2013 afin d’apaiser l’aile droite du Parti conservateur. Dans le cadre de ce scrutin, une décision aussi cruciale que l’appartenance ou non à une union d’États n’a finalement été prise que par 37 % des personnes habilitées à voter, peut-être même sur la base d’informations erronées.

Un scrutin sans vainqueur
Le royaume auparavant uni est profondément divisé, tant sur le plan géographique que démographique. Peu importe le nom du nouveau Premier ministre ou qu’il ou elle puisse, souhaite ou soit autorisé(e) à entamer le processus de divorce conformément à l’article 50 du Traité de Lisbonne, avec ou sans l’accord du Parlement, une chose est sûre : la Grande-Bretagne a perdu de sa grandeur. La tenue d’un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse est probable afin que la région puisse rester membre de l’UE en cas d’issue favorable. La question de l’Irlande du Nord, qui a préoccupé l’Europe durant plusieurs décennies, reviendra assurément sur le devant de la scène en cas de réussite du Brexit. La ville de Londres ne deviendra sûrement pas indépendante du reste de l’Angleterre, même si une pétition en faveur d’un tel référendum a déjà recueilli plus de 3 millions de signatures en quelques jours.

S’il est évident que personne ne ressort vraiment vainqueur du scrutin du 23 juin, le grand perdant semble toutefois être la Grande-Bretagne elle-même. La tentative des partisans du Brexit visant à regagner l’indépendance du pays par rapport à Bruxelles et à reprendre le contrôle total de ses frontières, également vis-à-vis des ressortissants de l’UE, tout en conservant un accès quasiment gratuit au marché intérieur européen, a échoué. Les déclarations du Conseil européen à cet égard ont été claires. La Grande-Bretagne devra se préparer à d’âpres négociations avec l’UE, lorsque, ou plutôt si, ces négociations de sortie commencent. Il est en effet dans l’intérêt politique des États membres d’adopter une ligne de conduite dure en la matière afin de ne pas alimenter davantage les partis populistes en plein essor dans de nombreux pays. Le Royaume-Uni se trouve une fois de plus sur la voie d’une splendid isolation, qu’elle avait déjà suivie au 19ème siècle. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. La Grande-Bretagne a depuis longtemps perdu son statut de pays industriel et dépend du commerce international. L’île fait en effet partie d’un environnement mondialisé. Même si certains Britanniques ne veulent pas l’entendre : le monde ne dépend pas de l’Angleterre ni des produits anglais. Il est possible de trouver de nouveaux marchés et d’acheter des produits de substitution. Les restrictions imposées aux produits financiers en euros, qui ne peuvent être négociés qu’au sein de l’UE, devraient jouer en défaveur du centre financier de Londres. Les agents immobiliers de Dublin, Francfort et Paris se frottent déjà les mains au vu des nouvelles opportunités qui se profilent.

BCE/BOE : la politique de taux bas sera certainement renforcée
Alors que le cours de la livre sterling a cédé jusqu’à 13 % face à l’USD le lendemain du référendum, atteignant son plus bas niveau depuis 30 ans, la perte vis-à-vis de l’euro a été plus limitée (10 %). Le marché compte apparemment sur un net assouplissement de la politique monétaire de la Banque d’Angleterre en cas de sortie effective de l’UE. La BCE, de son côté, ne devrait pas rester inactive en cas de fort ralentissement de la croissance de la zone euro, ce qui laisse présager un nouveau coude-à-coude entre les deux institutions. La fin n’est pas encore proche, étant donné que même le niveau zéro ne représente désormais plus un plancher naturel pour les taux. (…)

Dans cet environnement de taux lower-for-longer (bas pour longtemps), les banques se voient privées de leur modèle commercial. Le marché en est également arrivé à cette conclusion et punit les actions bancaires en conséquence. Si les bourses (virtuelles) européennes n’ont clairement pas été à la fête depuis le début de l’année, le STOXX 600 s’en tire plutôt bien avec un recul de 9 %, contrairement aux actions bancaires qui ont cédé 30 % jusqu’à présent, une chute qui n’est pas prête de s’arrêter. Il est selon nous bien trop tôt pour croire à un inversement de tendance et nous évitons dans la mesure du possible ce secteur en Europe. La politique de taux bas de la BCE et de la Banque d’Angleterre non seulement perdurera, mais elle sera très certainement renforcée.

Fed : le marché ne croit plus à un relèvement prochain des taux
Reste à nous intéresser à la Banque centrale américaine, la Fed. En tant que dernier bastion de normalité et de bon sens apparent dans un océan de ZIRP (Zero Interest Rate Policy, politique de taux nuls) et de NIRP (Negative Interest Rate Policy, politique de taux d’intérêt négatifs), la Fed a laissé entrevoir en décembre dernier l’espoir de renouer avec un environnement familier de taux positifs. Au cours du premier semestre 2016, marqué par de nombreuses turbulences, la probabilité implicite d’un nouveau relèvement des taux a fluctué entre 0 % et 45 %. Les statistiques économiques publiées en juin ayant déjà laissé clairement entrevoir un nouvel accès de faiblesse de l’économie américaine, le marché financier s’attend à ce que la Fed abandonne définitivement la perspective d’un relèvement après le vote en faveur du Brexit. L’intelligence collective du marché financier ne croit plus à la possibilité d’une hausse des taux lors de la prochaine réunion de la Fed le 27 juillet 2016. Mais ce n’est pas tout : les prochains relèvements devraient également s’avérer beaucoup plus limités que ce qui était prévu en début d’année.  A ce moment-là, le marché prévoyait des hausses de taux de l’ordre de 150 points de base à l’horizon des quatre prochaines années. Ces dernières semaines, les prévisions n’atteignaient plus que 50 points de base pour le même horizon de temps. En d’autres termes : si les attentes du marché s’avèrent exactes, ce dernier bastion serait également tombé. La situation familière selon laquelle l’argent a un prix serait ainsi devenue une perspective lointaine.

Dans cet environnement de taux plutôt pessimiste, les actions s’avéreront tôt ou tard incontournables. Il convient toutefois de garder à l’esprit que le rendement du dividende le plus attrayant ne sert à rien lorsque l’action est engagée dans une chute sans fin, car l’évolution des marchés est dictée par les risques politiques.

Dans le cas de la Grande-Bretagne, ces risques sont internes, inutiles et peut-être sans résultat. Voilà qui nous rappelle le temps du Monty Python’s Flying Circus et de son Ministry of Silly Walks. Pour conclure, avec un clin d’œil : Ils sont fous, ces Britanniques !

Contact Presse : Agence Kablé Communication – Angèle Pelletier @kable_cf

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